FOUGÈRES

 

 

Venues de la nuit des temps ...

 

LES FOUGÈRES

 

 

A l'ère primaire, à l'époque du carbonifère, il y a plus de 300 millions d'années, elles étaient bien  présentes et abondantes, dans les forêts primitives, en des lieux de grande humidité, l'eau étant un élément vital à leur reproduction. Elles occupent actuellement, dans nos territoires, les régions boisées, à proximité des ruisseaux et de cascades, les forêts, les rochers fissurés présentant des réserves d'eau.

Leur reproduction se déroule en deux étapes. La première met en jeu des sporanges, regroupant des spores,  situés sur la feuille - la fronde - de la fougère adulte. Au printemps, des milliers de spores sont éjectés, tombent au pied de la fougère ou sont dispersés par le vent.

La seconde étape  fait intervenir un autre acteur : le prothalle. Le spore, dans de bonnes conditions d'humidité, va, au sol, se transformer en cette minuscule plante, qu'on appelle le prothalle, qui ressemble à une petite algue verte adhérant à la terre. Sur sa face inférieure, apparaissent des gamètes mâles et femelles, qui libérées dans l'eau indispensable, vont assurer la fécondation et l'apparition d'une jeune plante avec tout ce qui lui faut pour vivre et assurer son cycle biologique de fougère :  des frondes, un rhizome et des racines.

 

De gauche à droite:

Osmunda regalis, Polypodium vulgare

 

L'UTILISATION DE LA FOUGÈRE

DANS LE QUOTIDIEN DE L'HOMME

 A l'heure actuelle, on compte environ, de par le monde, plus de 10 000 espèces de fougères. Ces plantes, familières aux habitants proches des bois et des forêts ou aux randonneurs, retrouvent un intérêt auprès d'exploitants ruraux comme éléments de paillage pour protéger les jeunes pousses du froid ou pour limiter le ruissellement de l'eau ou encore comme purin.

 

Mais la fougère a été utilisée par l'homme pour d'autres usages, abandonnés de nos jours, dont on a le témoignage à travers des textes, et ce, dés le XIIIème siècle.

 

Émile Littré . Dictionnaire de la langue française.

 

Datant de 1863, ré-imprimé jusqu'au XXème siècle, ce dictionnaire est un fabuleux trésor de la langue française dans ses usages anciens, riches de citations d'auteurs, de textes qui viennent illustrés les définitions des mots, resitués dans leur contexte historique.

Au mot Fougère, après une définition très rapide, Émile Littré développe l'usage que l'on faisait de cette plante. Ainsi au il nous donne à lire quelques citations tirés d'ouvrages du XIIIème siècle et  un extrait d'un poème dédié au Duc d'Anvers (156-1562) précédé de l'explication suivante:

"Fougère : verre à boire. Ainsi dit, parce que, avant qu'on eût, pour la fabrication du verre, reconnu la supériorité de la soude, on employait la potasse extraites des cendres de la fougère ou de tout autre végétal".

" On sent la vapeur légère

Déjà de maints vins nouveaux

Qui, tout sortant du berceau,

Pétille dans la fougère

Et menace le cerveau."

Au Duc de Nevers

 

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Yann Dumas. Biologie et écologie. 

L’utilisation de la Fougère aigle par l’homme

 

Chercheur au CEMA GREF, Yann Dumas élargit ce thème de l'utilisation de la fougère - la fougère aigle - dans le quotidien des hommes, dans les siècles passés.

 

 

"Plusieurs usages aujourd’hui abandonnés participaient sans doute à la maîtrise de son

extension. On la récoltait en guise de paille pour constituer la litière du bétail, le paillage des cultures, des toits de chaumes (pas de fermentation) ou des emballages alimentaires (d’où l’un de ses noms “fougère à cerises”).

 

Elle servait aussi à l’alimentation humaine : “pain de fougère” dans le Mâconnais en cas de disette (Coquillat, 1950) et dans de nombreuses autres parties du monde (Amérique du Nord, Brésil, îles Canaries, Nouvelle-Zélande) ; jeunes crosses bouillies en guise d’asperges. Elle entrait dans la médecine traditionnelle, comme vermifuge par exemple.

 

On l’employait aussi comme fourrage pour le bétail et les rhizomes arrachés avec un outil en fer servaien tà l’alimentation des porcs. Le travail de Mignan et Peron (1985) permet de l’attester. On peut lire dans leur étude qui porte sur les usages du Moyen Âge, « La fouchiere et les racines dicelle arraichier et fauchier aquelconque ferrement » ou encore « cuillir la fouchière ala faucille et arracher ala pioche pour leur diz pourceau ».

 

 

Enfin et surtout, l’industrie en consommait la plus grande quantité, d’une part pour la production d’énergie (maltage) et d’autre part comme source de potasse pour l’élaboration d’engrais, de savon ou de verre (après mélange avec de la silice pour faciliter la fusion en remplacement de la soude). La technique de fabrication du verre mise au point par les Romains utilisait la fougère dès lors que l’approvisionnement en bois ou en soude était déficient. Ce qui fut le cas notamment lors des invasions barbares au IVe siècle et ce

 jusqu’au XIXe siècle pour les régions les plus pauvres (Écosse). L’exploitation a même repris lors de la Première Guerre mondiale pour pallier la pénurie de potasse qui était essentiellement importée d’Allemagne (Rymer, 1976). La Fougère aigle contient une proportion assez intéressante de potassium (1 à 2 % du poids sec), et surtout un pourcentage élevé de dioxyde de potassium (KO2) dans les cendres (40 %). Des quantités très importantes de Fougère aigle étaient exploitées, principalement pendant les mois de juillet et août, où le rendement en potasse par unité de surface est le meilleur. Le « vairre de feuchiere » ainsi produit était de qualité moyenne.

 

 

Ces unités de production de “verre de fougère” ont donné, au moins dans certains cas, le nom de “Fougère” aux lieux où elles étaient implantées. C’est le cas de la ville de Fougères (Ille-et-Vilaine) où l’artisanat de verrerie est traditionnel. On dénombre plus de 150 formes de cette dénomination dans les différents dialectes du territoire français (sans compter les noms de lieux désignant un peuplement de fougère, autrement dit la ptéridaie ou fougeraie). C’est donc plus de 1 000 lieux en France qui se nomment “fougère” sous une forme ou sous une autre d’après l’interrogation de la base de donnée BDNYME (sur le site Internet de l’IGN). Ces noms ont, pour un certain nombre d’entre eux, la racine latine filix (Fluquière dans l’Aisne, Feugre dans le Nord ou Fauges en Savoie). Mais d’autres ont pour origine le dialecte local. C’est notamment le cas de Heugarolles ou Le Houga qui proviennent du gascon héous et Filetta ou Feliceto du Corse félica (Pégorier et Lejeune, 1997 ; Fontaine, 2001).

 

 

De gauche à droite:

Asplenium adiantum-nigrum, Asplenium trichomanes

 

LA FOUGÈRE DANS L'IMAGINAIRE DES POÈTES

 

Le végétal - flore, arbres - occupe une place importante dans l'imaginaire des poètes avec une approche personnelle et une utilisation de métaphores plus ou moins faciles, évidentes, à décrypter.

Mais cette plante, familière des paysages et de la vie quotidienne des hommes, n'apparait pas très souvent dans les textes poétiques, ne symbolisent pas des sentiments, des émotions, des ressentis pour lesquels les poètes pourraient la solliciter.

Seul, Robert Desnos qui appartient à la catégorie des poètes pour qui effectivement le végétal a une portée métaphorique évidente, dans certains de ses textes surréalistes, donne à la fougère une place particulière et signifiante.

Voici proposé un extrait d'un long poème, du recueil "Ténèbre", intitulé :

 

De la fleur d’amour et des chevaux migrateurs

 

 

Robert DESNOS. Recueil : "Les Ténèbres"

 

Il était dans la forêt une fleur immense qui risquait
de faire mourir d’amour tous les arbres
Tous les arbres l’aimaient
Les chênes vers minuit devenaient reptiles et rampaient jusqu’à sa tige
Les frênes et les peupliers se courbaient vers sa corolle
Les fougères jaunissaient dans sa terre.
Et telle elle était radieuse plus que l’amour nocturne de la mer et de la lune
Plus pâle que les grands volcans éteints de cet astre
Plus triste et nostalgique que le sable qui se dessèche
et se mouille au gré des flots
Je parle de la fleur de la forêt et non des tours
Je parle de la fleur de la forêt et non de mon amour
Et si telle trop pâle et nostalgique et adorable
aimée des arbres et des fougères
elle retient mon souffle sur les lèvres
c’est que nous sommes de même essence
Je l’ai rencontrée un jour
Je parle de la fleur et non des arbres
Dans la forêt frémissante où je passais
Salut papillon qui mourut dans sa corolle
Et toi fougère pourrissante mon cœur
Et vous mes yeux fougères presque charbon presque flamme presque flot
Je parle en vain de la fleur mais de moi
Les fougères ont jauni sur le sol devenu pareil à la lune
Semblable le temps précis à l’agonie perdue entre un bleuet
et une rose et encore une perle
Le ciel n’est pas si clos
Un homme surgit qui dit son nom devant lequel s’ouvrent
les portes un chrysanthème à la boutonnière
C’est de la fleur immobile que je parle
et non des ports de l’aventure et de la solitude
Les arbres un à un moururent autour de la fleur
Qui se nourrissait de leur mort pourrissante
Et c’est pourquoi la plaine devint semblable à la pulpe des fruits
Pourquoi les villes surgirent
Une rivière à mes pieds se love et reste à ma merci
ficelle de la salutation des images
Un cœur quelque part s’arrête de battre et la fleur se dresse
C’est la fleur dont l’odeur triomphe du temps
La fleur qui d’elle-même a révélé son existence aux plaines dénudées
pareilles à la lune à la mer
et à l’aride atmosphère des cœurs douloureux
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