JEAN MALRIEU

Jean Malrieu, né à Montauban en 1915 est l’un des grands poètes du vingtième siècle, récompensé par le Prix Artaud et le Prix Apollinaire. Il sera instituteur à Marseille, de 1949 jusqu’à sa retraite en 1975, écrivant une œuvre poétique évoquant la nature, l’amour, affirmant le lien indissociable entre la poésie et la vie. Il disparait brutalement en 1976 et repose dans le petit cimetière de Saint-Vergondin à Penne-de-Tarn, son « pays préféré », aux côtés de sa femme Lilette et de leurs amis, Georges Herment et Tonie, sa compagne.

 

 

 

Ces chroniques autobiographiques que Jean Malrieu écrira sur plusieurs petits cahiers d’écolier, couvrent les années allant de 1942 à 1951, une période de six ans – l’occupation allemande et la Libération – vécue à Montauban, suivie des deux années (1949–1950) relatant l’installation des Malrieu à Marseille où Jean est nommé instituteur.

 

Pour Pierre Dhainaut* ces chroniques révèlent bien l’évolution personnelle de Jean Malrieu. « Autant de de chapitres, autant de moments de l’Histoire et d’une histoire, autant d’épreuves. Et Jean, par touches successives nous permet de comprendre cette évolution. Le poète, l’instituteur, le militant sont inséparables. Pour tous ceux qui s’intéressent à l’auteur de Préface à l’amour ces pages sont précieuses. Comment ne se sentiraient-ils pas concernés ? »

 

ISBN : 979-10-90272-34-7

Prix TTC : 20 €

Auto-édition

* Pierre Dhainaut, ami proche de Jean Malrieu, a été le biographe et l’éditeur de ses œuvres poétiques. Poète également, il a été récompensé par le Prix Artaud en 1990 pour son recueil de poésie « Un livre d’air et de mémoire » (Sud) et en 2016, par le Prix Apollinaire, pour l’ensemble de son œuvre. Les commentaires cités dans cette présentation proviennent de deux lettres écrites par Pierre Dhainaut, adressées à Luce Van Torre le 21 février et le 22 octobre 2019.

POIDS BRUT

 

Permission

 

Nous avions entassé les bagages contre le mur de la salle à manger : capote, valise, musette, casque, masque à gaz ! Quelle équipée ! Nous allions souper. L’heure du départ était encore lointaine. Nous plaisantions. Je remarquai qu’elle avait mis les assiettes qu’on nous avait données pour notre mariage : des assiettes décorées d’épis de blé et de bleuets entremêlés. Le mal au cœur me serrait l’estomac. Il fallait bien pourtant n’en laisser rien voir. Il faisait chaud. Le feu flambait dans la cheminée. J’avais pour un instant encore une maison, une femme, une sécurité. La vie quotidienne éclate. On a branché le poste. C’est le quart d’heure du soldat.

 

Nous jouons mal. L’absence s’installe. Je mange, je ne sais plus. Elle a prévu un repas léger. Je ne peux rien avaler. Je jette les yeux autour de moi. Elle m’épie et sait tout ce que je pense…

 

Assez ! Je voudrais être parti. Mais ces minutes douloureuses font encore partie de la joie.  Je ne suis plus d’ici, déjà. Je n’étais que prêté…Oui, je sais, je dirai, parce que c’est vrai « l’arrivée, c’est chouette ! Mais le départ ! ». Au fond, il vaudrait mieux qu’il n’y ait pas de permission… Mais non, j’étais heureux et je paye.

 

Jean Malrieu. 15 décembre 1939

 

 

 

ISBN : 979-10-90272-31-6

Prix TTC : 20€

Auto-édition

 

 

 

 

EXTRAITS 1 . POIDS BRUT

EXTRAITS 2. D'AUTRES HOMMES D'AUTRES TEMPS

 

EXTRAIT 1

 

Parmi les textes du journal, "Poids brut", Jean Malrieu,  introduit des poésies.

Celle qui suit, sous le thème "Les dialogues tristes" a été écrite courant novembre 1939

(Page 124.Poids Brut. Carnet de guerre. 39-40).

"

Il était nuit. Les lampes axiales chargeaient l’ombre de bijoux comme une dame mûre. Il suit les chemins qu’il invente à sa ligne de vie. Marcher dans les rues désertes avec des toges invisibles, porte le nom d’un conquérant, avoir des amis vénitiens. Au Moyen Age, il eut été lépreux, ou Don Quichotte, ou Don Páez avec rapières pour délivrer les filles des enchantements. Annoncer le jour aux arbres, dire son âge sur les lèvres molles du vent, écrire son nom sur les murs. Rentrer par l’échelle de soie dans les chambres secrètes où les yeux bleus sont rangés – mes bijoux – sous les paupières.

 

Entrevoir la mer entre les portiques

 

S’envahir de parfums

 

Remplir ses yeux

 

Enchanteur, tenir une âme. Faire une nuit d’amour entre l’âne et le bœuf et les constellations. Écouter l’heure géologique dans la rue sans que les chiens aboient.

 

Fermer le paysage à clef. Jeter la clef de cette aurore rouge.

 

Avoir les mains propres

 

Les ongles ras

 

Les cheveux propres

 

Être rude

 

Entier

 

Vivre

 

Vite

 

 

 

C’est l’amour au détour de l’ombre. Ô poussier. Quel cœur précipite tes pas ? Tu avais le visage de la pluie et le goût du vent. Odeur moite d’un septembre sous un imperméable. Le baiser mord. Ta voix si hâtive de se perdre, si craintive.

 

 

 

J’ai offert, donné, abandonné. Déjà tu fuis ? Je suis cet enfant mort au bord du trottoir qui habite pour toujours ta présence.

 

Oui, j’ai vu Dieu, cette flamme terrible qui brûle, cette blessure qui ne veut pas saigner.

 

 

 

Ainsi mes lettres : « Je suis poète. Tu le vois. Je commence tout et ne finis rien … »

 

 

 

Et puis l’absence, sœur de l’attente, emplie de bruits. Le tic-tac de la pendule si forte tout à coup, les vents qui embrassait les rideaux. Ton nom si frêle et qui te contient (si mal, puisque tu débordes). Le rire que mon ombre pleure.

 

Et le poème qui vient plus tard mettre son fard et regarder l’idole.

 

 

 

 

EXTRAIT 2

 

Texte de la seconde partie de "D'autres hommes D'autres temps". Page 271

Tout dire.

 

Dire avec les enfants qui m’accompagnent jusqu’à l’arrêt du trolley, qu’ils savent ce que c’est qu’avoir faim et que, plus que pour Eugénie et Marie-Rose, les rues sont toujours aussi noires.

 

Dire avec le docker que je connais, que la grève a commencé sans un sou d’avance, mais que la solidarité, ça alors, c’est formidable, et qu’il ne faut jamais sous-estimer les forces généreuses du peuple.

 

Dire que l’air que l’on respire est celui exaltant de la liberté.

 

Dire sans fin, sans retenue.

 

Ne jamais s’arrêter de dire.

 

La liberté est à l’ordre du jour, écrivait sur un mur, à la craie, un enfant de l’école et la poésie y prenait ses dimensions et ce n’était plus l’époque de « compositions secrètes », mais celle de l’ode à pleine voix.

 

Nous t’aimons tous, ô liberté

 

Tu as fait les gens héroïques

 

Tu as chanté tu as pleuré

 

Tu pleures encore selon les lois

 

Mais nous nous battons pour toi

 

Est-ce un crime ?

 

 

 

Les trams qui s’arrêtent au milieu de la rue, s’arrêtent aussi au milieu de cette page.

 

Ah ! Dire les grandes avenues où la fièvre et la patience impatiente bat sa charge.

 

Dire les grandes échappées du soleil à travers les nuages, parce qu’il veut être présent lui aussi.

 

Dire la mer fermée entre les bras croisés des marins, la ville crispée, la ville debout.

 

Dire l’espoir et l’âme du combat.