Le Marcheur

(extrait)

 

  Car il sait que la vie ne prend jamais l'allure d'un destin. Qu'on vient par hasard, qu'on avance par petits bonds, qu'on vieillit à force d'hésitations, de reculs et de décisions prises en dernière extrémité.

  Car il sait qu'on se dirige à la boussole du moindre mal et de la moindre peur. Et qu'on meurt à n'importe quel âge, par accident.

 

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D'un même mouvement, il embrasse et comprend le creux de la montagne où le lac est niché, où le ruissellement de l'eau s'est assagi un moment, la rive plus basse, la faille où le torrent s'est glissé - l'évidence du monde.

  Peu lui importe d'arriver, encore qu'il ait le goût des jeux. Sève en route, il improvise ses détours et ses défis. Son bonheur transhumant est d'une étoffe épaisse, tissée de haltes et de rencontres. Et dans chacun de ses pas qui débusque une envie, lève le sens du voyage.

 

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  S'offrant à l'aventure de l'instant, il est le nœud des réponses probes. Un lieu plein, un espace fécondé.

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  L'illusion renaît parfois, insidieuse, du jeu des nuages dans les pins, de l'écrasement du soleil sur la pierre. Le marcheur l'accueille à son insu, s'abandonne. Puis il se lève, s'étire, chassant la torpeur et l'immortalité de son corps : c'est au torrent, c'est au névé, c'est au genêt où la lumière s'incarne qu'il dédie le voyage.

 

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  La mort n'appartient pas ici à la nuit. Elle se reconnaît dans un arbre foudroyé, l'effritement d'un roc éclaté par le gel, le dessèchement d'un rhododendron. Le soleil y a sa part. Elle est la pesanteur intime du marcheur.

 

Mars 2012

(Extrait)